Journal de bord de la marquise de Pompadour (1721-1764)

Pourquoi ce journal ? 

   J’ai ouvert ce journal en ligne pour vous partager mon expérience personnelle depuis 1741. 

 

9 mars 1741, Paris

   Aujourd’hui est un grand jour, qui va à tout jamais bouleverser ma vie de femme : je vais me marier, à l’église Saint-Eustache, avec Charles-Guillaume Le Normant, seigneur d’Etiolles, sous fermier général et chevalier d’honneur au présidium de Blois. Âgé de 24 ans, il est de quatre ans mon aîné. J’espère devenir une bonne épouse et une bonne maîtresse de maison.

 

26 décembre 1741

   J’ai, aujourd’hui, accouché d’un petit garçon. Il se prénomme Charles Guillaume Louis. Bien que fatiguée, je suis une femme comblée !

 

1742

   Une année marquée par l’horreur et le chagrin… Mon tout petit est décédé… Il nous a quitté si prématurément… Je n’ai plus goût à rien et aimerais que le temps s’arrête. Il me faut faire preuve de courage face à la situation.

 

10 août 1744

   Grâce au ciel, je suis de nouveau mère. Cette fois-ci, c’est une petite fille. Elle se prénomme Alexandrine et sera baptisée à Saint-Eustache, l’église dans laquelle je me suis mariée. Je reprends goût à la vie et de nouveaux horizons s’offrent à moi. 

 

25 février 1745, Château de Versailles

   J’ai assisté au bal masqué donné à la Galerie des Glaces en l’honneur du mariage du dauphin, Louis, avec l’infante Marie-Thérèse d’Espagne. Cette fête était éblouissante ! Mon déguisement de Diane chasseresse a fait sensation et tout particulièrement auprès du roi, qui n’a pas arrêté de m’entretenir tout au long de la soirée. On s’était déjà rencontré en 1743, lors de l’une de ses chasses en forêt. Je pense que je ne lui suis pas indifférente. Je crois même qu’il s’est épris de moi… Affaire à suivre !

 

15 juin 1745

   Je suis officiellement séparée de mon époux. Le Châtelet de Paris a prononcé aujourd’hui un arrêt de séparation de corps et de biens. Le roi était ravi à l’annonce de cette nouvelle. Nous allons enfin pouvoir vivre notre amour au grand jour. 

 

7 juillet 1745

   Je n’en reviens pas, le roi m’a anoblie ! Je ne suis plus simplement Jeanne-Antoinette Poisson mais Marquise de Pompadour. Il s’est confié sur ma spontanéité qui apporte un véritable vent de fraîcheur à la Cour. J’avoue  que j’en ai rougie.  

 

10 septembre 1745

   Je n’y crois pas !!! Louis XV m’installe dans le château de Versailles, au deuxième étage du corps central à l’attique nord, dans un appartement situé juste au-dessus du sien, relié par un escalier secret !!!! Mes fenêtres ouvrent sur le parterre du nord et le bassin de Neptune. Je suis sous le choc et si excitée par cette nouvelle vie qui s’offre à moi !

 

14 septembre 1745

   Ça y est, c’est le grand jour ! Louis XV me présente à la Cour. J’avoue quelque peu être angoissée. Je sais très bien ce qu’on pense de moi et de ma relation avec le roi. Peu importe, je suis là et je compte bien y rester. 

 

24 décembre 1745

   En cette veille de Noël, mon cœur est en peine. Ma mère vient de décéder alors qu’elle n’avait que 46 ans.  

 

21 mai 1746

   Le roi m’a offert un somptueux cadeau : le château de Crécy ! C’est ma première résidence en tant que favorite. Selon les bruits de couloir, il l’aurait acheté pour la somme de 750.000 livres à Louis-Alexandre Verjus, marquis de Crécy. Je suis beaucoup trop gâtée. J’ai la tête pleine de projets : je vais faire demander l’architecte Jean Cailleteau et le paysagiste Jean-Charles Garnier d’Isle pour embellir le domaine et remanier le château.

Vue du château de Crécy © 2001-2006 Lorenzo Crivellin
Octobre-novembre 1746

   Nattier m’a représenté sous les traits de Diane. Ce portrait a été peint à Fontainebleau à la demande du directeur général des Bâtiments du roi, Lenormant de Tournehem. J’y parais jusqu’aux genoux avec les attributs de Diane et me détache sur un fond de paysage.

Jean-Marc Nattier, Madame de Pompadour en Diane, huile sur toile (Château de Versailles)
29 février 1747

   J’ai découvert la manufacture de Vincennes spécialisée dans la porcelaine tendre. Créée en 1740 sous l’impulsion des frères Orry, elle fut installée dans la tour du diable du château de Vincennes. Aujourd’hui, elle vient de me livrer de somptueuses fleurs en porcelaine. Je sens que je vais devenir une de leurs clientes les plus régulières. 

Fleurs en porcelaine de Vincennes (XVIIIe siècle) (Paris, Musée des Arts décoratifs)
1748

   Cet été, je compte bien remanié mon appartement à Versailles. Je vais demander à Lenormant de Tournehem, d’envisager une nouvelle décoration, un nouvel accès par l’antichambre, de diviser le grand cabinet en deux… Je tiens à y imposer mon style et mon goût !

   J’ai fait la rencontre de Lazare Duvaux, l’un des plus célèbres marchands merciers français de la capitale, qui semble très expérimenté dans le domaine du mobilier et des objets d’art. Je pense que nous allons très bien nous entendre et faire affaire ensemble. 

   J’ai acheté le château de La Celle Saint-Cloud pour m’y détendre. Je peux également y suivre la construction du château de Bellevue entreprise par notre souverain pour en faire une résidence de plaisance. Je commence véritablement à prendre goût à l’architecture, à l’aménagement et aux décors intérieurs des bâtiments. 

Vue du château de La Celle Saint-Cloud © 2001-2006 Lorenzo Crivellin
1749

   J’ai fait des lettres de recommandation pour que mon frère parte en Italie pour parfaire sa formation. Grâce à mon intervention, le voyage est prévu dès décembre. Il sera accompagné du graveur Charles Nicolas Cochin, de l’architecte Jacques-Germain Soufflot et du critique d’art l’abbé Leblanc. Je suis certaine que cette excursion aura d’importantes répercussions sur sa carrière ! 

   Mon ascension sociale me vaut de nombreuses critiques de la part de l’opinion publique et notamment des milieux aristocratiques. Les pamphlets injurieux à mon encontre, que certains surnomment les « poissonnades », fleurissent dans toutes les rues de Paris mais aussi à la Cour. Je repense à Mazarin : lui aussi avait fait l’objet des mazarinades à l’époque de la Fronde, entre 1648 et 1653. 

   Le roi m’a cédé le château de Bellevue. Implanté sur le plateau de Meudon, j’y jouis d’une vue exceptionnelle sur la vallée de la Seine. Je vais faire appel à Jean Cailleteau, mon architecte préféré, pour les travaux architecturaux et à Jean Charles Garnier d’Isle pour les jardins. Je tiens à m’investir personnellement dans sa décoration intérieure.

Vue du château de Bellevue © 2001-2006 Lorenzo Crivellin
1750

   François Boucher a réalisé un portrait en pied de ma personne. Ne voulant pas d’une pose officielle, j’ai préféré opter pour une allure plus personnelle, de l’ordre du privé. Mon élégance et mon goût raffiné transparaissent parfaitement au travers de cette peinture. De plus, je tenais tout particulièrement à évoquer mon rôle de protectrice des arts, des sciences et des lettres ainsi que la diversité de mes intérêts et ce par le biais des objets représentés. L’accent a d’ailleurs été mis sur mes talents de musicienne, notamment avec la présence du clavecin.

François Boucher, La Marquise de Pompadour, huile sur toile (Paris, Musée du Louvre)

   J’ai pu admirer dans le salon d’Hercule à Versailles, un chef-d’oeuvre en marbre qui dépasse l’entendement, représentant L’Amour taillant un arc dans la massue d’Hercule d’Edme Bouchardon. Cette statue, qui avait été commandée en 1740 par le directeur des Bâtiments du roi Orry,  n’a malheureusement convaincu ni le roi ni la Cour du fait de sa trivialité. Elle suscita des critiques sévères. Rejetée, elle fut vite reléguée à l’orangerie du château de Choisy-le-Roi. Je n’étais absolument pas d’accord ! Il était hors de question que cette sculpture tombe dans l’oubli : j’en ai alors commander une copie en marbre – par le biais des Bâtiments du roi – pour le bosquet de l’Amour à mon château de Bellevue. Je tiens à réhabiliter cette oeuvre du mieux que je le peux. 

Edme Bouchardon, L’Amour se taillant un arc dans la massue d’Hercule, marbre (Paris, Musée du Louvre) © 2016 Musée du Louvre / Hervé Lewandowki

   J’ai reçu un petit secrétaire en pente à fond bleu, en vernis Martin. Cette pièce exceptionnelle est l’oeuvre d’Adrien Faizelot Delorme. Son décor en relief imite les précieux panneaux de laque du Japon. J’apprécie tout particulièrement ce genre de mobilier qui témoigne de l’attrait de l’exotisme sous le règne de notre bon roi Louis XV.

Adrien Faizelot Delorme, Secrétaire en pente, bâti de peuplier ou tilleul, sycomore, noyer, placage de prunier et amarante ; vernis bleu et rouge, moire bleue, papier bleu, bronze argenté, bronze doré, fer (Paris, Musée des Arts décoratifs) © MAD
14 septembre 1750

   Sur une proposition du critique d’art Etienne La Font de Saint-Yenne, Le Normant de Tournehem a entrepris d’exposer dans le palais du Luxembourg, de façon permanente, les collections royales. Quelle idée merveilleuse ! J’ai pu y voir La Sainte Famille de Léonard de Vinci ou encore La Vierge au lapin de Titien.

Titien, La Vierge au lapin, huile sur toile (Paris, Musée du Louvre)
Hiver 1750

   En novembre, les travaux du château de Bellevue sont enfin terminés. J’ai pu fièrement l’inaugurer aux yeux de tous ! 

   En cette fin d’année, les relations entre le roi et moi-même prennent une toute autre tournure : la passion charnelle a laissé place à une affection purement amicale et platonique. Je sais que Louis XV a toujours besoin de moi en tant que confidente et amie sincère, c’est pourquoi je reste à la Cour et dans l’entourage de la famille royale : je le distrais, je lui fais découvrir les arts, j’entretiens son goût pour l’architecture et les jardins, j’organise de nombreuses fêtes… 

 

1751

   Je suis si fière de mon frère : de retour d’Italie, il est devenu directeur général des Bâtiments du roi ! Tous ses efforts ont fini par payer. Une pensée, néanmoins, pour Le Normant de Tournehem, mon tuteur légal, qui nous a tristement quitté le 27 novembre. 

   Mon intérêt pour la manufacture de Vincennes s’éveille de plus en plus. Je découvre avec émerveillement ses réalisations, qui rivalisent de richesse et de somptuosité. Il me tarde de commander quelques pièces pour enrichir mes collections.

   J’ai reçu, pour le château de Bellevue, deux magnifique toiles du peintre François Boucher : la toilette de Vénus et le Bain de Vénus. Je vais les faire installer dans l’appartement des bains. L’une des chambres – lambrissée à décor textile et ouverte au nord sur la terrasse – possède une cheminée flanquée de deux portes : leur dessus est l’endroit idéal pour leur emménagement. J’aime ces peintures car elles ne cherchent pas à délivrer un message et n’aspirent à aucune intellectualisation : c’est de la mythologie aimable à l’état pur.

François Boucher, Le bain de Vénus, huile sur toile (Washington D.C, National Gallery of Art)
François Boucher, La Toilette de Vénus, huile sur toile (New-York, MET)

 

1752

   Depuis le 17 octobre, j’ai été promue au rang de Duchesse !!! 

   Un ouvrage fait beaucoup parler la Cour en ce moment : il s’agit de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, qui me semble fort pertinente pour l’esprit critique. Aussi, ai-je fortement encouragé la publication des deux premiers tomes. La réflexion est un élément indispensable de notre siècle, c’est pourquoi j’adore fréquenter Voltaire, Helvétius, Buffon, Marmontel ou encore Crébillon.

   J’ai pris conscience cette année des ressources financières de la Manufacture de Vincennes : si je me présente comme la principale protectrice du lieu, je pourrais en tirer d’importants bénéfices. Je compte bien en faire une arme diplomatique ! Sous l’impulsion de Machault d’Arnouville, j’ai réussi à convaincre le roi d’investir de l’argent dans l’entreprise, d’en devenir propriétaire et d’en étendre les privilèges. De nouveaux ateliers vont être construits. 

   Je compte faire d’importants changements à l’intérieur et à l’extérieur de mon château de Crécy. Les cheminées ont grandement besoin d’être renouvelées. J’aimerais également qu’un appartement à l’étage soit réservé au roi et à moi-même. Pourquoi pas construire un ermitage en contrebas du plateau et une laiterie à l’ouest du parc ? J’ai hâte de voir ce que ça peut donner !

   J’ai reçu deux de mes commandes passées en 1750 à Etienne Maurice Falconet et Lambert Sigisbert Adam : ce sont deux sculptures en marbre intitulée La Musique et La Poésie lyrique. Je les ai faites installer dans le vestibule de mon château de Bellevue, chacune dans une niche. Je tenais à ce qu’elles fassent allusion à mes talents de musicienne et à mon amour pour le théâtre

Etienne Maurice Falconet, La Musique, marbre (Paris, Musée du Louvre) © Bridgeman Art Library / Lauros / Giraudon
Lambert Sigisbert Adam, La Poésie lyrique, marbre (Paris, Musée du Louvre) © Bridgeman Art Library / Lauros / Giraudon

  

 

 

 

 

 

   J’ai également reçu pour le château de Bellevue trois toiles de Carle van Loo pour décorer ma chambre à coucher, qui est à l’ouest de la salle à manger, dont la thématique se rapporte à l’Orient. Deux d’entre elles occuperont les dessus de porte et la troisième le trumeau de glace de l’entre-fenêtre. Les deux peintures que je préfère sont celles représentant une femme habillée en Sultane prenant une tasse de café puis travaillant à une tapisserie. Je vous laisse deviner si c’est moi qui suis représentée en sultane turque ? 

Carle van Loo, Sultane buvant du café, huile sur toile (Saint-Pétersbourg, L’Ermitage)
Carle van Loo, Sultane brodant avec une dame de compagnie, huile sur toile (Saint-Pétersbourg, L’Ermitage)© 2012 – Hébergé par Overblog

 

1753

   Ça y est !!! La Manufacture de Vincennes accède enfin au titre de manufacture royale : elle peut donc utiliser les deux « L » entrelacés.

   J’ai reçu l’une de mes commandes que j’avais passée en 1750 à Pigalle : l’Amitié. Cette sculpture à mon effigie va être placée dans le bosquet de l’Amitié du parc de Bellevue, en pendant à la statue de Louis XV. Vêtue d’une simple robe blanche, la poitrine découverte et les bras nus, cette figure de l’Amitié fait allusion de manière explicite à la nature des liens qui unissent le roi et moi-même, c’est-à-dire à mon statut d’amie du roi. Je tenais à ce que cette oeuvre marque les esprits au cœur de mon domaine.

Pigalle, L’Amitié, marbre (Paris, Musée du Louvre)

   Carle van Loo bénéficie de plus en plus de mes faveurs. Il réalisa une série de quatre dessus de portes pour le Cabinet de Jeux du rez-de-chaussée du château de Bellevue. Ces peintures illustrent les Beaux-Arts : la peinture, la sculpture, l’architecture et la musique. Ce genre de représentations allégoriques n’a rien de nouveau en soi mais je trouve que Van Loo renouvelle le genre en utilisant des figures enfantines, thème que j’affectionne tout particulièrement.

Carle van Loo, Allégories de la Peinture, de la Sculpture, de l’Architecture et de la Musique, huiles sur toile (Londres, Victoria and Albert Museum) © augustelauronce.fr

   Au Salon de cette année, j’ai pu admirer deux tableaux de François Boucher, que l’on peut qualifier de chefs-d’oeuvre : le Lever et le Coucher du soleil. J’ai décidé de les acheter pour mon château de Bellevue. Je me reconnais sous les traits de la nymphe Téthys qui accueille Apollon le soir venu : j’y vois une allusion à ma liaison avec le roi. La grâce, la délicatesse et la légèreté sont les maîtres-mots de ces peintures, et ce notamment par l’emploi des coloris rose, bleu et blanc. Je pense que je vais aussi faire exécuter des tapisseries par la manufacture des Gobelins à partir de ces oeuvres. Je vais y réfléchir !

François Boucher, Le Lever du Soleil, huile sur toile (Londres, Wallace Collection)
François Boucher, Le Coucher du Soleil, huile sur toile (Londres, Wallace Collection)

 

 

 

 

 

J’ai encore fait des folies en ce mois de décembre ! Je me suis achetée pour Noël l’hôtel d’Evreux, construit dans le Faubourg Saint-Honoré entre 1718 et 1720 aux héritiers du comte d’Evreux. Il faut dire que l’étendue du terrain a tout particulièrement retenue mon attention. De plus, le couvent de ma fille est tout juste à proximité, ce qui est une bonne chose. Je tiens à faire de cette grande demeure ma résidence parisienne. Elle a besoin de quelques transformations et d’une mise au goût du jour en terme de décoration et d’ameublement des pièces. Je vais de nouveau faire appel à Jean Cailleteau pour entreprendre les travaux.

Vue de l’hôtel d’Evreux © akg-images
15 juin 1754

   Je crois que le Seigneur veut me punir de quelque chose… Qu’ai-je fait pour mériter cela ? Ma très chère Alexandrine est morte brutalement d’une péritonite aiguë au couvent des Dames de l’Assomption, rue Saint-Honoré à Paris. Le roi a dépêché en urgence deux de ses médecins personnels à son chevet mais ils sont arrivés trop tard. Elle n’avait que 10 ans et toute la vie devant elle. Etant retenue à Versailles, Je n’ai même pas pu être à ses côtés pour ses derniers instants. Je m’en veux terriblement. Le poids de la culpabilité pèsera à tout jamais sur mes épaules. Je ne sais pas si j’arriverai un jour à me remettre de ce nouveau drame, qui me ramène douze ans en arrière : Charles Guillaume Louis, mon tout petit Charles Guillaume Louis, accueille ta petite sœur auprès de toi et veille sur elle dans les cieux.

 

23 juin 1754

   Malade de chagrin, j’ai préféré me retirer dans mon château de Bellevue. Pour essayer de me changer les idées, j’ai eu une frénésie d’achats à la Manufacture de Vincennes. J’a acheté quatre pots à eau avec leurs jattes, cinq grands gobelets et leurs soucoupes, deux vases, un pot à oille et quatre petits objets pour la somme de 4788 livres… Je pense les faire livrer à Bellevue mais aussi à Versailles, voire même en offrir quelques uns en cadeaux. 

 

25 juin 1754

   Décidément, cette année 1754 n’est pas une année joyeuse. Mon père vient tout juste de décéder lui aussi, à peine dix jours après ma très chère enfant. Que leurs âmes reposent en paix… 

 

1754

   A la mort de Charles Joseph Boulle, Oeben a obtenu le titre d’ébéniste du roi ainsi que son propre atelier aux Gobelins, grâce à mon soutien. Je vais, à présent, lui accorder toute ma protection. La même année, il m’a livré une petite table de toilette avec une superbe marqueterie et des équipements mobiles. Elle témoigne, à mon sens, du génie d’Oeben mais aussi de mon goût raffiné en matière d’art

Oeben, Table de toilette, chêne blanc plaqué de bois de roi, de tulipier, d’amarante, de buis, de houx, d’épine-vinette, bois de sang, érable sycomore, érable teinté, ébène, cuir ; doublure en tissu de soie ; montures en bronze doré ; garnitures et serrure en laiton et en fer ; vis de fer (Los Angeles, The J. Paul Getty Museum) © 2001-2006 Lorenzo Crivellin
1755

   J’ai décidé de modifier l’aménagement et le décor de certaines pièces du château de Crécy. Ça va faire dix ans, j’ai envie de changements !

   J’ai appris une bien triste nouvelle, Jean Cailleteau est mort. L’architecte Gabriel va poursuivre les travaux à l’hôtel d’Evreux : je lui passe le flambeau. 

   J’ai enfin reçu le tableau que j’avais commandé à Maurice Quentin Delatour en 1749. Ce portrait correspond en tous points à mes attentes : bien qu’il soit officiel et qu’une volonté d’ostentation soit sensible, le caractère intime est bel et bien présent puisque je suis représentée dans un intérieur, entourée d’objets familiers symbolisant la littérature, la musique, l’astronomie et la gravure. Mon rôle de protectrice des arts est parfaitement mis à l’honneur. On peut même distinguer, si on est attentif, l’Histoire naturelle de Buffon, l’Esprit des Lois de Montesquieu, la Henriade de Voltaire, le Pastor Fido de Guarini ainsi qu’un ouvrage regroupant mes gravures.

Maurice Quentin Delatour, Portrait de la Marquise de Pompadour, pastel sur papier gris-bleuté collé sur châssis entoilé (Paris, Musée du Louvre) © Erich Lessing

   La Manufacture royale de Vincennes m’a livré au château de Saint-Ouen une paire de pots-pourris « à dauphins » à fond bleu céleste et à décor de marines. Je destine ces vases à contenir un mélange odorant de fleurs et de racines séchées et humectées. Ma collection ne cesse de s’agrandir d’année en année, j’en suis très heureuse !

Manufacture de Vincennes, Paire de pots pourris à dauphins, porcelaine tendre (Paris, Musée du Louvre) © RMN – Grand Palais / Daniel Arnaudet
1756

   Grande nouvelle !!! J’ai réussi à faire transférer la Manufacture de Vincennes à Sèvres. Ce déménagement rend l’entreprise matériellement plus proche du roi et de ses préoccupations mais aussi de mon château de Bellevue. La Manufacture va enfin pouvoir véritablement s’imposer face à sa grande rivale de Meissen du fait de l’originalité et de la qualité de ses créations. J’espère que cette future fulgurante ascension sera indissociable de mon nom !

   François Boucher m’a portraiturée à l’occasion de ma nomination récente. Ce n’est pas un portrait officiel mais un portrait strictement privé : je suis représentée dans l’intimité de mon cabinet d’étude, m’adonnant au repos, laissant ma lecture suspendue. Toute mon élégance et mon raffinement se ressentent au travers de cette peinture. 

François Boucher, Portrait de la Marquise de Pompadour, huile sur toile (Munich, Alte Pinakothek)
7 février 1756

   J’ai été nommée dame surnuméraire du palais de la Reine. Ma présentation aura lieu demain, après les vêpres. Cette éminente position est le point d’orgue à toutes mes nominations. 

 

26 août 1756

   Cette année a aussi été marquée par le début d’une guerre contre le royaume de Grande-Bretagne, le royaume de Prusse, leurs empires coloniaux et leurs alliés. J’ai donc consacré une grande partie de mon temps à la situation internationale et n’ai pas fait de nombreux achats pour compléter mes collections. Lazare Duvaux s’est simplement occupé de les nettoyer et de les réparer dans chacune de mes propriétés. 

 

1757

  Quelle horrible journée que ce 5 janvier ! On a tenté d’assassiner le roi. Depuis l’incident Ravaillac en 1610, plus personne n’avait jamais osé attenter à la personne sacrée du roi. Or, ce soir à 18h, alors que Louis XV sortait du château de Versailles pour se rendre à son carrosse, un homme du nom de Robert-François Damiens s’est précipité sur lui pour lui porter un violent coup de couteau au flanc. La blessure entre la quatrième et la cinquième côte est longue mais heureusement superficielle. Bien que Louis XV ait perdu beaucoup de sang, il est hors de danger. Cet attentat a d’autant plus ébranlé le royaume que la France essuie de nombreux revers dans cette guerre qui nous frappe depuis 1756. 

   Malgré très peu d’achats effectués à la Manufacture de Sèvres, une superbe couleur rose a été mise en place. Elle est véritablement sensationnelle. Il faudra que je vous la montre !

  Il faut que je vous parle de mon nouvel achat dans le domaine de l’orfèvrerie : il s’agit d’un moulin à café exécuté par Jean Ducrollay. Le café ! La nouvelle boisson à la mode ! Depuis 1670, la Cour et Paris en raffolent. J’apprécie tout autant ce breuvage venu d’Orient. 

Jean Ducrollay, Moulin à café, or jaune, vert et rose, acier et ivoire(Paris, Musée du Louvre) © RMN – Grand Palais / Daniel Arnaudet

   La sculpture L’Amour menaçant d’Etienne Maurice Falconet m’a enfin été livrée. J’ai découvert le modèle en plâtre au Salon de 1755. Totalement séduite, je lui ai passé commande d’un exemplaire en marbre pour les jardins de mon hôtel d’Evreux. J’ai d’ailleurs fait de ce sculpteur français mon petit protégé et je lui ai confié la direction de l’atelier de sculpture à la manufacture royale de porcelaine à Sèvres.

Etienne Maurice Falconet, L’Amour menaçant, marbre (Paris, Musée du Louvre) © RMN – Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski
1758

   En 1754, j’avais passé une commande à Pigalle pour le parc du château de Bellevue : l’Amour embrassant l’Amitié. Je l’ai enfin reçue mais je ne peux pas l’installer comme convenu à Bellevue car j’ai cédé au roi, l’année précédente, mon domaine. Je pense la mettre dans le « grand Jardin » de l’hôtel d’Evreux aux côtés de la statue de l’Amitié. Ce groupe évoque le triomphe de l’Amitié sur l’Amour, symbole de ma relation intime avec Louis XV… J’apprécie beaucoup le travail de Pigalle : sa composition est des plus raffinées avec son jeu sur les lignes et les courbes.

Pigalle, L’Amour embrassant l’Amitié, marbre (Paris, Musée du Louvre) © RMN – Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado
1759

   J’ai très peu de temps pour moi actuellement, c’est pourquoi je n’écris pas beaucoup dans le journal ces temps-ci.

   J’encourage Louis XV à procéder au rachat complet des actions de la Manufacture de Sèvres afin d’en faire une entreprise entièrement royale.

 

17 février 1760

   Comme pour la Manufacture de Vincennes, la Manufacture de Sèvres est enfin devenue royale par arrêt du conseil.

 

30 mai 1760

   Aujourd’hui, la Manufacture de Vincennes a livré pour ma chambre à l’hôtel d’Evreux de la porcelaine de France et plus exactement une somptueuse garniture de cheminée à fond rose composée d’un pot-pourri « à vaisseau », d’une paire de pots-pourris « à dauphin » et de deux pots-pourris « à bobèches ». Ce magnifique ensemble est complété par une paire de bras de lumière à fond rose. Le vaisseau constitue l’une des plus belles pièces de ma collection de porcelaines !!! Entre nous, vu le prix de la garniture (2 400 livres), j’espérais qu’elle soit splendide. Au diable l’avarice : l’art est une noble cause !

Charles-Nicolas Dodin, Pot-pourri « vaisseau », porcelaine tendre (Paris, Musée du Louvre) © 2013 Musée du Louvre / Thierry Ollivier
Pair de bras de cheminée « Duplessis », porcelaine tendre (Paris, Musée du Louvre) © 1990 RMN / Daniel Arnaudet

 

30 juin 1760

   J’ai de nouveau craqué sur un château ! J’ai fait l’acquisition du château de Menars, un magnifique domaine situé entre Orléans et Blois. Il sera nécessaire de faire d’importants travaux de construction dans le château et les jardins. Je tiens, comme pour tous les autres, à m’occuper personnellement de la décoration et de l’ameublement selon le goût nouveau de l’époque.

Plan du Château de Ménars © 2001-2006 Lorenzo Crivellin
1762

   Carle van Loo a été nommé Premier Peintre du Roi, position très prestigieuse. Je suis ravie pour lui. 

 

25 juin 1762

   La Manufacture royale de Sèvres m’a livré un ensemble de cinq pièces en porcelaine tendre dont deux vases pots-pourris « à feuillage » au décor chinois et deux vases pots-pourris « à bobèches ». L’élément principal de cet ensemble est une pendule. Elle va rejoindre ma collection au château de Ménars. D’un style rocaille très affirmé, elle est ornée d’un fond « petit verd » créé en 1760 par la manufacture, fond que j’affectionne tout particulièrement. Le cadran de la pendule est l’oeuvre de l’horloger parisien Jean Romilly

Charles-Nicolas Dodin, Pendule à quatre pieds de biche, porcelaine tendre (Paris, Musée du Louvre) © Musée du Louvre, Dist. RMN – Grand Palais / Martine Beck-Coppola
1763

   J’ai eu un long moment d’absence mais je suis de retour. 

   La guerre est enfin terminée. Deux traités de paix ont été signés en février : celui de Paris entre la France et l’Angleterre et celui d’Hubertsbourg entre l’Autriche et la Prusse. C’est la consécration de la victoire de l’Angleterre qui nous a ravi de vastes sessions coloniales comme le Canada ou encore le Sénégal… Elle devient ainsi la nouvelle maîtresse des mers. J’espère que la France arrivera à se relever de cet échec. 

   A l’est du Grand Trianon dans le parc du château de Versailles, sous mon instigation, Louis XV s’est décidé à faire construire un château par son Premier architecte, Gabriel : le petit Trianon serait un lieu de retraite pour le roi et moi-même.

   J’ai reçu une somptueuse table à plateau coulissant en marqueterie florale naturaliste et au mécanisme élaboré. Commencée par Jean-François Oeben mais terminée par Roger Vandercruse, elle est caractéristique de l’évolution stylistique du siècle.

Oeben, Table à plateau coulissant, chêne plaqué d’acajou, de roi, de tulipier, avec marqueterie d’acajou, bois de rose, houx et autres essences diverses ; montures en bronze doré ; imitation de laque japonaise ; soie (New-York, MET) © 2000–2018 The Metropolitan Museum of Art

   J’ai également reçu une livraison d’une suite de quatre chaises, livrée par Nicolas Quinibert Foliot, pour mon second appartement à Bellevue. Ce sont des chaises à la reine et à carreau, en bois mouluré, sculpté et repeint en jaune rechampi gris, aux pieds galbés, à la ceinture et au dossier chantournés, au décor de fleurettes et de feuilles d’acanthe. Elle sont recouvertes en toile de Perse.

Nicolas-Quinibert Foliot, Suite de quatre chaises, (Château de Versailles) © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Daniel Arnaudet / Hervé Lewandowski

 

14 avril 1764, Versailles

   Je suis épuisée… Depuis ma tuberculose, ma santé chancelle. Il fait si froid et humide dans mes grands appartements. Je sens que la fin est proche. S’il devait m’arriver quelque chose, je lègue ma fortune à mon frère, le marquis de Marigny, et l’hôtel d’Evreux à mon cher et tendre ami Louis XV. 

 

15 avril 1764, Versailles 

   En ce jour de Pâques, ma très chère sœur est décédée d’une congestion pulmonaire, à l’âge de 42 ans. Mourir à Versailles, quel privilège ! Aucun courtisan n’y a le droit en temps normal puisque c’est la résidence du roi et de la cour. C’est la preuve qu’elle a été l’une des plus grandes dames de son temps, qui incarnera à jamais une part de « modernisme ».  

   Son journal de bord ne pouvant plus être entretenu, c’est avec une profonde tristesse que je le clos.  

   A jamais à toi, Jeanne-Antoinette 

   Signé Le Marquis de Marigny