Le collectionnisme au XXe siècle

   Les objets et œuvres d’art sont majoritairement collectionnés au XXéme siècle par les artistes, les mécènes, les riches familles et les marchands.

Les artistes

   Le XXéme siècle est avant tout celui des révolutions plastiques. Toujours en quête de la modernité, les différents artistes définissant les avant-gardes du XXéme siècle cherchent avant tout la liberté créatrice et l’audace. Ainsi, ceux-ci collectionnent pour s’inspirer avant tout ; et c’est au sein de leurs ateliers que l’on trouve tout naturellement les œuvres les plus originales.

   Parmi celles-ci, les œuvres des contemporains. Qu’elles viennent de différents réseaux internes aux artistes, de maisons de ventes, ou de galeries, c’est aux pairs que les artistes s’adressent en premier lieu afin de trouver leur inspiration. Il peut ainsi s’agir d’œuvres provenant de différentes relations amicales (comme l’essentiel de la collection surréaliste d’André Breton), de circuits plus ou moins légaux (on se souviendra du vol par Apollinaire de figurines phéniciennes, ensuite revendues à Picasso), ou encore tout simplement par suite du succès que certains peintres rencontreront selon les évolutions du goût. Par exemple, Picasso collectionnera quelques tableaux de Renoir ou de Matisse.

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Vincent Van Gogh,
Portrait du Père Tanguy, 1887, Musée Rodin de Paris

   Auguste Rodin1, lui, achètera le Portrait du Père Tanguy de Vincent Van Gogh, daté de 1887, à une époque où l’artiste à l’oreille coupée rencontrait un vif succès ; plus tard, il s’attachera à constituer une collection d’œuvres provenant des avant-gardes, tout en acquérant à partir de 1890 des antiques. Si la date de l’achat du Van Gogh par le sculpteur n’est pas référencée, une chose en revanche est certaine : tout au long du XXéme siècle -comme dans toute l’Histoire de l’art-, le monde artistique européen puis mondial est très lié, dans le sens où tout artiste est influencé par un autre qui lui est contemporain, tout en ayant la volonté de le dépasser. La collection d’un artiste permet en cela de découvrir vers quel autre pair ses goûts personnels dirigeaient son œuvre. On notera ainsi au début du siècle une admiration des Fauves pour l’impressionnisme, le symbolisme et le divisionnisme, des dadaïstes et des surréalistes pour l’art naïf, et des Écoles de New-York (expressionnisme américain et pop-art) pour le surréalisme.

   Pour autant, la grande nouveauté du collectionnisme du XXéme siècle reste qu’il s’ouvre à des horizons bien plus larges. Si Gauguin auparavant avait déjà recherché la lumière et la  »sauvagerie » prétendue des îles polynésiennes, c’est réellement avec les artistes que le regard sur les objets extra-européens va changer. Considérés alors comme dénués d’intérêt artistique par ceux qui pourtant les avait amenés en Europe, les objets d’ethnologie apportés par les premiers explorateurs rencontrent soudain avec les premières avant-gardes un regard autre, qui reconsidèrent les artefacts comme d’un art primitif ou archaïque dont la beauté simple est recherchée par ces artistes.

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Katsushika Hokusai, La rivière Tama dans la province de Musashi, vers 1832, estampe polychrome d’après une gravure sur bois, Japon, acquise par Rodin en 1911, Musée Rodin de Paris

   Si aujourd’hui cette pensée est fortement dépassée, le schéma ainsi reproduit fut le même que celui concernant le japonisme quelques décennies plus tôt : on voyait alors dans l’art de l’estampe (ukyo-e) l’expression d’une naïveté perdue dans les arts occidentaux, alors qu’il est en réalité le fruit d’un travail plastique de plusieurs siècles. Les artistes ainsi recherchent à renouer avec ce qu’ils considèrent presque unanimement comme une priorité : rétablir le lien entre l’art et l’émotion que la contemplation d’une œuvre peut apporter. Les formes et volumes surprenants de ces objets, chargés de mysticisme, avaient donc tout pour plaire à de jeunes artistes attachés à redéfinir ce qui faisait alors la modernité.

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Masque Fang, Gabon, XIXéme siècle (?), bois peint, ancienne collection André Derain, Musée National d’Art Moderne de Paris

   C’est pourquoi les surréalistes placent dans leur carte du monde modifiée l’Océanie et l’Afrique au cœur de leurs préférences -l’art de ces deux continents étant regroupé sous l’appellation d’ « art nègre », puisque ce sont ces objets qui non seulement portent en eux le plus grand potentiel d’évasion et de liberté, mais aussi la possibilité de se libérer des principes et diktats de la représentation européenne usuelle. On comprend également pourquoi Derain admirait beaucoup les primitifs italiens, dont la représentation des postures, des corps et des paysages semblaient alors si éloignées des principes classiques et des figurations académiques. Le même Derain, par ailleurs, sera le premier à découvrir l’art africain, notamment au musée de l’Homme : si c’est d’abord Vlaminck qui acquiert le célèbre masque Fang du Gabon conservé aujourd’hui au Centre Pompidou, il sera cédé à Derain qui le montre en 1906 à Picasso. Cette première rencontre avec l’art africain marquera le peintre espagnol, qui entre dès 1907 dans sa phase cubiste.

Les particuliers

   Si le cas des artistes sont parmi les plus connus et étudiés en ce qui concerne les collections au XXéme siècle, il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit pas toujours des goûts dominants de l’époque. C’est notamment vrai par rapport aux particuliers, qui représentent une plus grande majorité des collectionneurs : ils sont souvent issus de familles fortunées liées à l’aristocratie, à l’industrie ou au commerce.

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Pablo Picasso entre Gertrude Stein et sa compagne Alice à Belley en 1931.

   Si le bourgeois sera plus enclin à suivre les goûts dominants (comme par exemple l’Art Déco dans les années 20 et 30, qui est aussi l’art d’état dans lequel un grand nombre de bâtiments sont alors construits), les riches personnalités liées à l’avant-garde constitueront parmi les plus originales des collections, souvent dispersées lors des persécutions nazies contre « l’art dégénéré ». C’est par exemple le cas pour Gertrude Stein, grande collectionneuse de Picasso. Plus tard, ce sera l’homme d’affaires Pierre Bergé qui collectionnera les œuvres de son amant Bernard Buffet, avant de constituer avec le couturier Yves Saint-Laurent une des plus riches collections du XXéme siècle.

   D’autres encore parmi ces particuliers collectionneurs sont des marchands d’art : c’est souvent eux qui influencent le goût, en allant dans le sens ou contre celui dominant. C’est par exemple le cas de Louis Carré, qui présente dans sa galerie des arts anciens « redécouverts » (comme l’art grec archaïque), extra-européen, ou encore moderne (notamment des œuvres issues des UAM ou du Bahaus).

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Intérieur de la maison de Louis Carré conçue par l’architecte Alvar Aalto, vers 1960, Bazoches-sur-Guyonne

   La maison que l’architecte finlandais Alvar Aalto lui bâtit à Bazoches-sur-Guyonne entre 1957 et 1960 servira d’écrin à une collection éclectique et variée, signe d’une grande polyvalence dans le goût de l’époque. Ils seront nombreux, ces marchands collectionneurs, à l’instar d’Ernst Brumer, Paul Guillaume, Peggy Guggenheim, Charles Ratton, CT Loo… qui tous collectionneront ce qu’ils vendront. A noter également que beaucoup de familles comme de marchands d’origine juive ont vu leurs biens spoliés (parmi lesquels un certain nombre d’œuvres d’art) durant la seconde guerre mondiale. Le processus de restitution, débuté au lendemain du conflit, continue au XXIe siècle. C’est par exemple le cas de Paul Rosenberg.

   Quand aux familles tenant leur fortune de l’industrie, ils sont souvent parmi ceux qui collectionnent et financent l’art ancien : majoritairement américains, on citera notamment l’action de mécénat mené par John Davidson Rockefeller au château de Versailles, qui collectionnait le mobilier Grand Siècle. Après la Seconde Guerre mondiale, ce sont les époux Grog-Carven qui constitueront, en trente ans, l’une des plus grandes collections de mobilier du XVIIIéme siècle français et de porcelaines chinoises. D’autres encore deviennent trustees d’un musée, comme par exemple au MoMA de New-York: l’acquisition par le musée d’une œuvre d’un artiste qu’un des dirigeants possède déjà est également un moyen de légitimer une collection ou un goût. Parmi les grands particuliers collectionneurs de l’époque, on trouve Henry Havemeyer, Guiseppe Verzocchi, Albert Barnes, Dina Vierny, …

[1] A noter que le sculpteur Rodin peignait également pour son plaisir. Ses paysages se nouent ainsi à une certaine touche impressionniste.

 

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