L’évolution des styles au XXe siècle

 

   Ce siècle étant extrêmement riche, nous aborderons successivement l’évolution des styles en peinture, sculpture et architecture, en choisissant soit des périodes soit des artistes clés de la première moitié du XXe siècle. 

La peinture : Fauvisme, cubisme, dadaïsme et surréalisme

   Le passage du XIXe au XXe siècle est crucial pour comprendre la peinture de ce dernier. Claude Monet termine les toiles des Nymphéa en 1926. Il peut être vu comme le dernier des impressionnistes, mais est-il aussi « le dernier peintre de la Lumière » comme l’affirme alors Georges Clémenceau ? Quelle postérité l’impressionnisme laisse-t-il ? Qu’arrive-t-il par la suite ?

   Comme les impressionnistes, Vincent Van Gogh s’intéresse dès 1884 à la théorie du contraste simultané des couleurs développée par Michel-Eugène Chevreul et au travail sur les couleurs complémentaires de Charles Blanc : l’œil perçoit au loin deux aplats colorés juxtaposés différents comme une troisième et même couleur. Cela est repris ensuite par Georges Seurat, Paul Signac et Paul Gauguin, respectivement néo-impressionnistes et postimpressionnistes. De plus, l’impressionnisme de Monet (incarné par sa série des meules de foin) impacte jusqu’à la vision abstraite de Kasimir Malevitch, qui recherche une représentation nouvelle de l’ombre et de la lumière dans les années 1920-1930.

   Van Gogh, quant à lui, innove sur le plan du coloris et de la représentation figurée : il juxtapose des couleurs vives, utilise la verticalité japonisante barrant la composition et représente une vision subjective de la réalité, tout comme Paul Gauguin. L’influence de Van Gogh se retrouve ensuite à travers la couleur des Fauves et l’angoisse de l’expressionnisme allemand. Tous suivent en même temps les préceptes de Gauguin, qui souhaite abolir toute règle afin de favoriser la création mêlant spontanéité et émotion. Gauguin va jusqu’à déclarer que « l’art est une abstraction », renvoyant postérieurement à l’art abstrait. Ses aplats colorés se retrouvent chez les Fauves mais aussi de façon plus surprenante dans les studios de production de Walt Disney dès les années 1930.

   Le premier mouvement d’avant-garde du XXe siècle est celui des Fauves, né de la collaboration entre André Derain et Maurice de Vlaminck à Chatou puis de Derain avec Henri Matisse à Collioure dès 1905.

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Henri Matisse, La plage rouge, 1905, Institut Courtauld

Il s’agit de montrer la couleur pour la couleur: celle-ci est appliquée pure à la sortie du tube et les divers tons sont juxtaposés « en bâtons de dynamite » afin de produire une explosion colorée. Vlaminck, anarchiste, déteste l’ordre établi et les musées. Il déclare : « Je voulais brûler avec mes cobalts et mes vermillons l’Ecole des Beaux-Arts et je voulais traduire mes sentiments sans songer à ce qui avait été peint… Quand j’ai de la couleur dans les mains, la peinture des autres je m’en fous : la vie et moi, moi et la vie. En art, chaque génération doit tout recommencer ». Les Fauves possèdent néanmoins une filiation remontant au XIXe siècle. De plus, ils collectionnent aussi les premières statues primitivistes, sous l’influence des bois taillés polynésiens envoyés par Gauguin. Ce mouvement sans manifeste prend rapidement fin en France mais impacte l’expressionnisme allemand jusqu’en 1912.

   Arrive ensuite le cubisme de Braque et Picasso (1907-1914). Ce mouvement-ci est le premier qui s’affranchit de la couleur et toute perspective. Il est le plus radical et toutes les avant-gardes qui arrivent ensuite lui doivent quelque-chose. Le cubisme nait avec Les demoiselles d’Avignon de Pablo Picasso, qui présente des formes géométriques sous un angle de vision non-unique, contrairement à la Renaissance.

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Pablo Picasso, Les demoiselles d’Avignon, 1907, MoMa

Il reprend ce que disait Paul Cézanne : « Traitez la nature par le cylindre, la sphère et le cône ». Picasso est également influencé à l’époque par les sculptures de « l’art nègre » et de l’art ibérique : alors que Derain collectionne des sculptures africaines de grande qualité, Picasso collectionne des œuvres de qualité médiocre ou moyenne mais dont la forme lui semble intéressante pour son processus créatif. Par humour ou par égo, il déclare cependant « L’art nègre, ‘connait pas ». Lui et son ami George Braque passent par trois périodes cubistes en quelques années, étant le cubisme cézannien, hermétique puis analytique. Par la suite, les suiveurs du cubisme, tels que Juan Gris, sont appelés les cubistes de la section d’or.

   Rapidement arrive la première guerre mondiale. Durant ce conflit nait en Suisse le mouvement fantaisiste dada en 1916, fondé par l’écrivain Tristan Tzara. La « grande guerre » remet en cause les courants humanistes (on atteint 60 millions de morts). En réaction à cela et convaincu que l’Homme ne peut être sauvé, les dadaïstes veulent alors détruire les fondements de la société.  Le Cabaret Voltaire devient l’alternative aux musées et le mouvement rédige son manifeste en 1918, qui stipule : « Je détruis les tiroirs du cerveau et ceux de l’organisation sociale : démoralisés partout et jetez la main du ciel en enfer, des yeux de l’enfer au ciel, rétablir un cirque universel, dans les puissances réelles et la fantaisie de chaque individu ». Leur art est une subversion totale mettant en avant le fou, l’enfant et le sauvage.

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André Masson, Le Labyrinthe, 1938, MNAM

Il s’agit de la première mouvance ne se définissant pas par un style et créant une fusion des arts aboutissant jusqu’au non-art. Rien n’est enclavé, on mêle l’art et la vie dans des performances loufoques. Dans la même idée, Marcel Duchamp produit ses fameux ready-mades et demande à Tzara la permission d’utiliser le terme dada. André Breton rejoint le mouvement mais se brouille avec Tzara en 1921. En réaction à cela, Breton créé le mouvement surréaliste qui existera jusqu’à sa mort dans les années 1960. Inspiré de Dada, la grande différence entre les œuvres dada et surréalistes est que les premières étaient presque toutes éphémères et n’ont donc quasiment pas été conservées.

   Faisons un focus sur André Breton, auteur du manifeste du mouvement et collectionneur présenté plus loin sur notre site. Ayant horreur du nationalisme, étant anticapitaliste, anticolonialiste ainsi qu’aux premières loges de la « der des ders », il fonde en 1919 la première revue surréaliste. La même année, il rencontre Sigmund Freud et s’intéresse à l’inconscient dans l’art : le surréalisme relève d’un automatisme psychique et est l’expression du contenu réel de la pensée, l’absence de tout contrôle de la raison hors préoccupation esthétique et morale. Ainsi, les membres du mouvement produisent des cadavres exquis (une suite de mots aléatoires donnant une phrase alambiquée) ainsi que des dessins à plusieurs mains échappant à toute logique. Cela impacte dans la seconde partie du XXe siècle le monde littéraire (le théâtre de l’absurde) mais aussi, dans la culture populaire, certaines chansons de Bob Dylan.

La sculpture : Picasso, Giacometti et Brancusi

   Pablo Picasso n’est souvent connu du grand public que pour sa période cubiste ne s’étalant que sur quelques années de sa vie, alors qu’il n’a cessé d’évoluer et de changer sa production sur plus de cinquante ans.

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Pablo Picasso, La chèvre, matériaux composites de récupération et plâtre, 1950, Musée Picasso de Paris

En plus de collectionner des sculptures primitivistes, Picasso créé aussi les siennes, soit par moulage et fonte (Tête de Fernande du Musée Picasso, 1909) soit par assemblage de matériaux composites réutilisés (La chèvre). Il utilise de la conserve, du bois, des clous, de la ficelle, des cartes à jouer, du journal, des partitions, du métal, de la taule, de la glaise, procède à de la taille directe et à la prise d’empreintes pour faire un inventaire du quotidien. Ses collages divers sont l’application directe du cubisme en 3D. Picasso précise qu’il veut « découper la peinture pour en installer les morceaux dans l’espace ». Lui et Marcel Duchamp sont d’accord pour dire « qu’une œuvre est l’enveloppe d’une idée ». Picasso partage avec Alberto Giacometti une fascination pour l’Éros et le Thanatos, comme pour le dépassement des limites de la représentation. De leur rencontre au début des années 1930 à leurs dialogues de l’après-guerre quant aux querelles du retour au réalisme, les deux artistes n’ont cessé d’échanger sur leur création, ce qui amènent à de nombreuses similitudes formelles et thématiques rapprochant leurs œuvres de la période surréaliste. À partir de la fin des années 1930, tous deux vont transformer leur pratique et partager des questionnements sur l’art et sa relation au réel. 

   boule suspendueAlberto Giacometti, principalement connu pour la série de l’Homme qui marche produite dans les années 1960, a aussi sculpté des œuvres antérieures d’inspiration surréaliste. Il est l’auteur de la première sculpture muette et mobile, intitulée Boule suspendue (1932), visible aujourd’hui dans la reconstitution du bureau d’André Breton au Musée national d’art moderne de Paris. Ses œuvres des années 1920-1930 montrent souvent son rapport complexe au sexe et une vie privée mouvementée, ce que l’on retrouve également dans les assemblages de Salvador Dali à la même époque (Soulier de Gala, 1931).

   Constantin Brancusi, quant à lui, est remarqué par Auguste Rodin, sculpteur français emblématique à la renommée internationale au début du XXe siècle. Mais contrairement à ce dernier qui créé une forme ex-nihilo par modelage, Brancusi préfère la taille directe sur pierre ou sur bois. Ainsi, il fait référence à un art archaïque passé. Dans le milieu des années 1910, il commence le cycle des Oiseaux, thème qu’il développera jusqu’à obtenir un pur élan ascensionnel. Ce cycle montre aussi comment sa sculpture, faisant référence à des sources anciennes et intemporelles, peut aussi entrer en correspondance avec la modernité. Notons aussi que Brancusi considère les différents socles de ses sculptures comme des œuvres à part entière, dont la forme simple et abstraite en prolonge l’énergie. La Muse endormie (1910) est emblématique de sa relation avec la création. Elle incarne la volonté de l’artiste de supprimer toute expression ou sentiment personnel vis-à-vis de son modèle pour privilégier une forme élémentaire, universelle et intemporelle. L’extrême raffinement de l’œuvre rappelle d’autres cultures et principalement les arts asiatiques.  Entre archaïsme et avant-garde, entre figuration et abstraction, entre représentation anatomique et sophistication formelle, son œuvre est une véritable charnière faisant passer du siècle de Rodin au siècle de Kandinsky. En 1956, il lègue son atelier ainsi que tout ce qu’il contient à l’Etat français.

L’architecture : Guimard, Mallet Stevens et Le Corbusier

   Le XXe siècle est celui de l’Art Nouveau et de l’Art Moderne. L’architecture haussmannienne prend fin dès 1900. L’Art Nouveau (1895-1911) est incarné par hôtel_mezzara_-1Hector Guimard qui laisse plusieurs habitations encore visibles aujourd’hui dans le cœur de Paris, comme l’hôtel particulier Mezzara (ci-contre). Les habitations sont toutes en courbes et sans citations architecturales du passé: on retrouve la dimension d’art total comme en peinture et en sculpture. Toutes les disciplines sont concernées : mobilier, ferronnerie, peinture, verre… A la même époque, Emile Gallet fait connaître ses créations de l’Ecole de Nancy. Notons que Guimard imagine ses bâtiments en entier avant de déléguer les différents savoirs faires. Sa ligne en coup de fouet et les références à la faune et la flore sont typiques de cet architecte. La naissance de ce mouvement est liée à l’émergence d’une société de la bourgeoisie financière et industrielle de la fin du XIXe siècle. Cette architecture « nouveaux riches » fait appel à des matériaux spécifiques de production industrielle comme la brique, le fer, la fonte. Chaque élément décoratif a une fonction, bien que le décor puisse paraitre foisonnant : la liberté n’est pas totale contrairement à Antoni Gaudi, à Barcelone. Ce style, aussi dit « style nouille » est en perte de vitesse dès 1906 puis s’assagit en période de maturité : on remarque moins de matériaux visibles ainsi qu’une perte de couleur.

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Villa de Jan et Joël Martel en 1928 © Thérèse Bonney 

  A l’Art Nouveau succède l’Art Moderne, incarné par Robert Mallet Stevens et Le Corbusier. Dans les années 1920, Mallet-Stevens, architecte curieux et polymorphe, œuvre dans divers domaines : pour l’industrie et le commerce, il dessine des vitrines et des magasins. De cette expérience, il garde une conception novatrice de la lumière qu’il traite comme un matériau à part entière. Il produit pour des particuliers des architectures creusées et composées comme la villa des frères Martel. Il joue sur les matériaux : verre lisse, gaufré, craquelé, noir et coloré, ainsi que sur les formes géométriques et les volumes.

   Le Corbusier, quant à lui, théorise le logement collectif avec l’unité d’habitation (par exemple, la cité radieuse de Marseille est constituée par modules géométriques). Souhaitant répondre aux besoins de son temps, il cherche à loger rapidement, au mieux et à moindre coût les Français ayant perdu leur habitation lors de la Seconde Guerre mondiale. Il travaille aussi sur des commandes et développe aussi cinq points fondamentaux pour une bonne architecture du type villa : faire une structure sur pilotis libérant l’espace au sol, sans mur porteur. Structure de béton armé en open-space, avec une façade libre, des fenêtres en bandeau et un toit terrasse. Son œuvre, répartie sur trois continents, est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2016.