Journal de bord du cardinal de Richelieu (1585-1642)

12 décembre 1622 

   De cette journée bénie, nous avons été intronisé à Lyon par le pape Grégoire XV. Il nous faudra attendre encore quelques temps, dans la patience, avant que sa Majesté le roi Louis XIII écoute l’admirable admonition de sa noble mère pour nous faire entrer à Son Conseil.

 

29 avril 1624

   Tout vient à point à qui sait attendre. Sa sérénissime nous introduit à Son Conseil. Le Petit Luxembourg nous servira de demeure ; c’est étroit, mais cela n’est que temporaire ; nous ferons construire un palais.

En 1628, le Cardinal de Richelieu commence à faire construire le Palais Cardinal par l’architecte Jacques Lemercier, architecte du roi.

   Proche du Louvre, le palais est somptueux et demeure longtemps un des plus beaux de Paris. Le Cardinal Richelieu, par acte de donation avec réserve d’usufruits, donne le palais au roi en 1636, rendant ainsi le palais inaliénable à la couronne.

 

6 février 1626

   Hier soir, quatre hommes de ces mousquetaires ont encore fait tinter leurs épées dans la cour de notre palais. Que le diable les emporte ! Vont-ils massacrer tous les nobles du pays ? Son Altesse Royale, sous nos humbles conseils, a fait interdire en ce jour tout duel : que soient maudits ainsi ces Athos, Porthos, Aramis, et le pire de tous, ce faquin de d’Artagnan !

 

10 septembre 1627

   « C’étoit chose certaine que tant que le parti des huguenots subsisteroit en France, le Roi ne seroit absolu dans son Royaume[1] ». Il s’impose à notre personne de réduire en vermine les huguenots de notre territoire. Nous avons lancé un siège à la Rochelle ce 10 septembre 1627 ; que Dieu nous soit favorable et nous accorde la victoire pour sa Gloire.

 
28 octobre 1628

   C’est le Dieu des catholiques qui dirige la France, nous n’en doutions pas, et les événements nous le confirment. Cette vermine huguenote s’est laissée affamée, mais elle capitule aujourd’hui ! Son Altesse prend la Rochelle en ce jour ; Notre Personne exige qu’ils se rendent tous, ou ils mourront.

 
21 novembre 1629

   Sortez le vin de Paris et toutes sortes de victuailles, banquetons, car c’est un grand jour que celui où nous-mêmes, Armand-Jean du Plessis, duc et Cardinal de Richelieu, sommes nommé unique conseiller du Roi ! Son altesse, un peu faiblarde, a enfin compris qu’il ne pouvait croire que notre personne !

   C’est à la politique que Nous avons instaurée contre ces faquins de huguenots : leur donner la liberté civique et la liberté de culte, bagatelle pour nous, leur supprime tout pouvoir militaire… ils sont anéantis ! 😈

 

Printemps 1630

   Nous avons demandé à Jacques Lemercier (quel homme instruit !) de nous reconstruire un château à Richelieu. Il avance bien vite et bientôt nous pourrons nous y installer… Nous avons déjà acquis cette table somptueuse pour décorer le boudoir, ou le 3e salon…

table marbre pierre dure
Mosaïque de marbres et pierres dures,
1,99 m (longueur) x 1,3 m (largeur).
Provient probablement de Rome, dernier quart du XVIe siècle.
Paris, musée du Louvre.

   Ce plateau magnifiant différentes variétés de marbres et pierres dures, témoigne du goût pour cette technique au XVIIe siècle. Les éblouissants motifs évoquent des palmettes, des fleurons, sur un fond de brocatelle. Le décor, non figuratif et excluant les fleurs et les animaux, permet de rattacher sa provenance à une production florentine. Le cardinal de Richelieu l’avait achetée pour son château de Richelieu, faisant ainsi concurrence au mobilier du roi Louis XIII[2].

   Nous pensions qu’il était important de posséder un Michel-Ange, pour nous faire bien voir de tous ces ambassadeurs… Notre collection doit surpasser toutes les collections ! Quelle difficulté de s’en faire apporter un ! Ces coquins d’italiens, fainéants, et si égoïstes… le château d’Ecouen n’étant pas occupé, nous avons pris ceux de sa façade…

esclave mourant
Michelangelo Buonarroti dit Michel-Ange (Caprese Arezzo, 1475 – Rome, 1564), L’Esclave mourant, 1513-1516, Marbre, H. : 2,09 m. Paris, musée du Louvre.

   Entrepris pour le tombeau du pape Jules II dès 1505, Michel-Ange commença la réalisation des Esclaves en 1513, lors d’un deuxième projet. Les deux Esclaves rejoignirent la France par le biais de Roberto Strozzi à qui Michel-Ange les avait offerts. Elles furent prélevées par le cardinal de Richelieu pour son château en Poitou. Posséder dans ses collections une œuvre réalisée par le génie des arts est indispensable. Les deux marbres témoignent de la capacité infinie de l’artiste dans son inspiration de l’antique, sa puissance d’expression, le non finito traduisant sa quête d’absolu et d’idéal.

 

11 novembre 1630

   Que soit ajoutée à la liste des maudits cette terrible reine mère qui manipule son fils ! Marie de Médicis a voulu nous éloigner du roi et nous révoquer à cause de cette guerre des Habsbourg : elle voulait la paix ! LA PAIX !??? Heureuse fortune, en cette Journée des Dupes, le roi a décidé de nous écouter, nous ferons la guerre contre ce grippeminaud de Philippe IV : MORT AUX HABSBOURG !

 

Année 1633

   Nous vous délaissons… la politique est fort complexe. Nous devons affirmer notre pouvoir ! Nous avons demandé à ce peintre très sérieux, Philippe de Champaigne de nous faire un portrait. Nous avons été difficile à satisfaire : il nous en a fait vingt-et-un ! Celui-ci est sans doute le plus beau : nous voyons tout à fait notre humilité et notre simplicité d’ecclésiaste !

cardinal
Philippe de Champaigne
(1602, Bruxelles – 1674, Paris),
Portrait du cardinal de Richelieu, 1633-1640, Huile sur toile, 259 x 178 cm,
Londres, the National Gallery.

   Ce portrait, parmi les 21 commandés par le cardinal à son peintre Philippe de Champaigne, figure Armand-Jean du Plessis, Cardinal et Duc de Richelieu, ministre principal du roi Louis XIII. Il apparait ici en habit de cardinal, portant l’ordre du Saint-Esprit autour du cou. Un tel portrait d’homme d’église, posant comme un prince, est une formule nouvelle ; elle pourrait avoir été choisie intentionnellement par le cardinal pour souligner son important rôle d’homme d’état.

 

1er mai 1635

   Quelle belle idée nous avons eue : il semble parfois que Notre cerveau est omnipotent. Nous contrôlerons tout, tout le monde, tout le temps, sans que personne n’y voit rien. L’Académie française ! Quelle belle idée d’en être le Patrem et Patronum ! Nous contrôlerons, non seulement l’instauration de la langue française au lieu de ce latin que nous partageons avec trop de faquins ; mais aussi toutes les réunions, les livres, le dictionnaire !

 

1er mai 1635

   Jacques Lemercier nous a emmené aujourd’hui pour une petite surprise : ses plans pour la Chapelle de la Sorbonne terminés, nous avons eu le privilège d’en poser ce jour la première pierre ! Que de beauté la France sous mon Eminence peut vanter…

Elévation de la Chapelle de la Sorbonne par Jacques Lemercier (1632-1653).

16 mai 1635

   Nous entrons enfin dans cette guerre où nous étions à l’écart… Sa Majesté a enfin compris que les Habsbourg sont tous des pleutres ! La guerre est mal engagée pour nous… nous devons combattre, et nous efforcer, car nous gagnerons, je le sais ! La France du cardinal de Richelieu sera Glorieuse ! VICTORIEUSE !

   Nota Bene à nous-même : vérifier que S.M. Louis treizième, ce coquin, ne trouve jamais ce journal. Nous prenons le pouvoir et les rênes du royaume, mais si le roi s’en rend compte…

 

 1638

   AH ! On nous critiquait pour un soi-disant manque de peinture dans notre collection. Pfff, sycophantes ! paltoquets ! Voilà qui vous clouera le bec. Un Caravage, acheté à ce faquin de Del Monte, avec ses grands airs d’italien…

concert caravage
Michelangelo dei Merisi dit Le Caravage
(Milan ou Caravaggio, 1571– Porto Ercole, 1610), 
Le Concert dit aussi Les Musiciens, 1597, 
Huile sur toile, 92 × 118,4 cm, 
New-York, Metropolitain Museum of Art.

   Réalisée pour le premier grand mécène de l’artiste, le cardinal Francesco del Monte, passionné de musique. L’œuvre arrive dans les collections du cardinal de Richelieu par son acquisition en 1638 à son homologue italien. Le Caravage marqua l’art du XVIIe siècle pour son travail sur les jeux de lumière notamment le clair-obscur ainsi que pour le naturalisme. Sacré maître pour son style, il devient un indispensable de la collection au XVIIe siècle.

 

4 décembre 1642

   C’est moi, le Cardinal Mazarin, qui vous annonce tristement la mort de ce glorieux cardinal. Ses dix-huit années passées auprès du roi ont conduit la France avec une main de fer, en vue de l’unification du pays et de la toute puissance de la monarchie… quel glorieux personnage que nous regrettons. Le peuple est en joie et allume des feux pour fêter cette mort… quelle cruauté ! Quel grand homme pour moi ! Je vous jure, Ô défunt, Ô noble cardinal, de m’appliquer à vous ressembler en tout. J’entends des mousquetaires se battre dans la cour… je laisse ici ce journal, et le clos à jamais.

Adieu !


[1]  Armand Jean du Plessis Richelieu (duc de), Mémoires du cardinal de Richelieu, Commentaire analytique du code civil, 1837. p. 356

[2] D. Alcouffe, A. Dion-Tenenbaum et A. Lefébure, Le mobilier du Musée du Louvre, Musée du Louvre . Département des objets d’art (éd.), Dijon, France, 1993.