L’évolution des styles au XVIIe siècle

Caravage et les Caravagesques

   Le XVIIe siècle s’ouvre sur de nouveaux styles dans la production artistique. Les répercussions du Concile de Trente[1] et la volonté d’un certain « retour à l’ordre » après les débordements maniéristes marqueront les différents arts.

   Au tournant du siècle, un certain Michelangelo Merisi, plus connu sous le nom du Caravage (nom donné de sa ville d’origine), offre un style plutôt déconcertant. Le peintre emploie la technique de clair-obscur pour composer ses toiles : il s’agit d’un très fort contraste, où souvent, différentes sources de lumière mettent puissamment en valeur les éléments essentiels de ses compositions ; les zones d’ombres permettent d’accentuer le contraste. Par ailleurs, c’est aussi dans le grand naturalisme de ses figures que le peintre fait évoluer la peinture. Ses figures, étudiées sur le modèle vivant, empêchent toute idéalisation ; et pourtant, le traitement très lisse, les contours parfaitement linéaires, les couleurs chatoyantes, ont souvent fait qualifier sa peinture de naturalisme idéalisé.



Le Caravage, La mort de la Vierge, 1601-1606, Huile sur toile, 369 x 245cm,
Paris, musée du Louvre

   Prenons l’exemple de ce tableau, La mort de la Vierge. Commandé pour l’église Santa Maria della Scala in Trastevere, la toile de Caravage obtiendra un refus. Voici quelques éléments, significatifs des prérogatives de la Contre-Réforme, ainsi que du style de l’artiste. Dans la tradition chrétienne, la Vierge Marie ne meurt pas, mais monte directement au ciel. Or, le Caravage nous montre ici la Vierge absolument morte ; son corps est pesant, son teint est blafard, et plus aucun muscle ne semble la retenir. Le peintre aurait pris pour modèle une jeune femme morte noyée, expliquant la représentation du corps enflé de la Vierge. Cette mort terrestre ne laisse en outre aucunement place à la Rédemption, que veut pourtant réaffirmer l’Eglise catholique : le fond, tout à fait bouché, obscur et fermé, n’offre pas la possibilité de l’espoir de la résurrection ; ainsi en est-il des figures des apôtres, toutes pleines de réelle douleur et du sentiment naturel de tristesse.

   Le style puissant du Caravage, son emploi du clair-obscur, son traitement naturaliste, aura une grande influence sur les artistes du XVIIe siècle dans toute l’Europe ; ses suiveurs seront appelés Les caravagesques et reprendront les grands traits stylistiques et iconographiques du Caravage.

 

   En parallèle de la peinture du Caravage, une académie se crée autour des figures de trois grands peintres bolonais : Annibal, Ludovic et Augustin Carrache. Leur style, plus idéalisé, plus proche de la figure antique et empreint d’une plus grande clarté, touchera également de nombreux artistes du XVIIe siècle. De grands noms se retrouvent dans cet atelier : Guido Reni, le Guerchin, ou encore l’Algarde. La doctrine de l’académie est la suivante : l’étude de la nature, des grands maîtres du passé et de l’antique, dans le but de parvenir au Beau idéal.


Annibal Carrache, Assomption, 1590, Huile sur toile, 130 x 97 cm,
Madrid, musée du Prado

   Cette Assomption, peinte par Annibal Carrache en 1590, est un manifeste du style de cet Académie, en même temps qu’elle reprend les principes édictés par le Concile de Trente sur la nécessité de la dévotion aux saints. La composition montre avec une grande clarté la scène de la montée au ciel de la Vierge Marie. Deux registres distinguent le monde terrestre, où sont figurés les apôtres, dont le regard se dirige vers le registre céleste, où Dieu accueille dans sa gloire la Vierge Marie. La sainte fait d’ailleurs le lien entre ces deux mondes, entre le terrestre et le divin ; elle prend ainsi le rôle d’intercesseurs entre les hommes, soit les fidèles, qui contemplent la toile par en bas, et dont le regard est directement attiré, dans une dynamique ascensionnelle, vers le divin.

   On retrouve dans cette toile l’étude de l’antique, fondamentale chez les artistes de cette académie, avec l’architecture du temple et celle du tombeau. L’étude de la nature est visible dans les figures des apôtres, qui montrent des visages non idéalisés. L’ensemble se rapproche du Beau idéal par ces éléments, mais aussi dans une dimension plus spirituelle, où l’âme est appelée à la rédemption.

   Ce style de l’Académie des Carrache, plus classique que celui du Caravage, se nourrira d’une nombreuse production artistique. Ce système de dévotion aux saints, faisant apparaître deux registres dans la peinture, pour laisser le fidèle passer du terrestre au divin sera employé de manière presque systématique dans ce type de tableau.


Annibal Carrache, Le choix d’Hercule, 1596, Huile sur toile, 167 x 273 cm,
Naples, musée Capodimonte

   Bien que la peinture religieuse soit un topos fondamental au XVIIe siècle, ce style de l’Académie des Carrache trouve aussi ses sources dans l’iconographie profane. La mythologie gréco-romaine ne cesse d’inspirer les artistes, tant par le récit que par la philosophie qu’elle développe. Une philosophie alliant le christianisme et Aristote laisse place à de nombreux motifs.

   Le choix d’Hercule présente les mêmes caractéristiques fondamentales de l’Académie des Carrache. Elle fait également le lien entre la philosophie de l’Antiquité – Hercule doit choisir entre le chemin des vices et des vertus – et la doctrine catholique : le chemin de la vertu conduira celui qui l’empreinte à la Jérusalem céleste, lieu du repos de son âme.


Nicolas Poussin, Eliezer et Rébecca, 1648, Huile sur toile, 118 x 199 cm,
Paris, musée du Louvre

   L’académie des Carrache trouvera un écho stylistique puissant en France : la quête du beau idéal par l’observation de la nature, des grands maîtres et de l’antique se rapproche du style « classique » français. On y retrouve la grande clarté des compositions. Nicolas Poussin en est sans doute le peintre le plus expressif.

   L’œuvre est réalisée en 1648 pour le banquier parisien Jean Pointel, grand amateur et ami de Nicolas Poussin. En 1660, c’est le cardinal de Richelieu, autre grand collectionneur du peintre, qui achète l’œuvre lors de la vente après décès de Jean Pointel. Poussin s’inspire d’un récit de la Genèse illustrant la rencontre entre Eliézer et Rebecca. La clarté de la composition, l’harmonie des mouvements, la musique des couleurs, le rythme des lignes imposa cette toile comme l’une des plus abouties de Nicolas Poussin.

 

   On trouve souvent le qualificatif de Baroque appliqué à la production artistique du XVIIe siècle. Si le terme, parfois confus et englobant est à nuancer fortement, il regroupe néanmoins des caractéristiques stylistiques similaires. Wöfflin[2] qualifie les différents styles du XVIIe siècle, et attribue à la production baroque les attributs suivants : le mouvement, l’expression des passions, la profondeur des compositions, l’obscurité, ainsi que des contours mouvants.



Le Bernin, Buste de Louis XIV, 1665, Marbre, 105 cm, Versailles, Salon de Diane

   Œuvre puissante par excellente, ce buste de Louis XIV par le Bernin exprime tout le génie du style de l’artiste. Le mouvement exprimé par le vêtement du roi s’explique par un usage intensif des ombres dans la manière de sculpter de l’artiste. L’expression du monarque est triomphante et son regard franc. La profondeur de l’expression et le mouvement inhérent semblent insuffler la vie à ce buste.

 

   Le genre de la nature morte naît au XVIe siècle, mais elle prend tout son essor dans les Provinces Unies et dans les Flandres au XVIIe siècle. En Espagne, on le retrouve décliné en bodegon, évoquant davantage un intérieur de taverne. Très lié au naturalisme, par son sujet et par l’étude sur le motif, ce genre revêt cependant souvent un sens allégorique et spirituel. La nature morte se décline sous différents genres : elle peut être de fleurs, de repas, ou de vanité. Ce dernier, relié à la dimension vaine de la vie humaine, reprend des motifs périssables dans la vie terrestres, tels que le verre, les livres, les richesses, dans le but d’appeler à un regard sur les choses célestes.

   Les natures mortes de repas appellent souvent aux cinq sens ; si l’on y trouve un instrument, c’est l’ouïe qu’on veut représenter. Si c’est une étoffe texturée, le toucher. De même, elles peuvent parfois avoir une fonction dénonciatrice : le verre de vin appelle souvent aux déboires de la boisson, mais il peut aussi se référer au vin eucharistique.

   Si simple qu’elles puissent paraître, si basses dans la hiérarchie des genres[3], elles révèlent la plupart du temps une dimensions beaucoup plus spirituelle et profonde que le simple motif représenté.

Willem Claeszoon Heda, Nature morte, 1629, Huile sur toile, 46 x 69 cm, La Haye, Mauritshuis Museum


[1] Le Concile de Trente, convoqué par le pape Paul III en 1542 dans la ville de Trente en Italie, répond à la Réforme protestante de Luther. Le concile a pour objet, entre autres, de réaffirmer la foi catholique en vue de son unité. Dans les arts, l’importance du culte des saints, de leur intercession, et l’importance du divin marqueront les productions, en clarifiant les compositions pour que leur compréhension soit immédiate.

[2] H. Wölfflin, Renaissance et baroque, B. Teyssèdre (éd.), traduit par Guy Ballangé, Paris, France, 1961.

[3] La hiérarchie des genres, formalisée par Félibien en 1668, pose en première position la peinture d’histoire ; viennent ensuite le portrait, le paysage en enfin, la nature morte.