Le collectionnisme au XIXe siècle

Le collectionnisme au XIXe siècle

   La figure du collectionneur évolue beaucoup au cours du XIXe siècle. Selon les périodes, ce dernier n’est pas perçu de la même manière.

   Au XIXe siècle, la collection devient un fait social, certainement parce qu’elle incarne tour à tour le rôle pédagogique du discours républicain, puis la volonté de remplir la sphère privée d’art, face à la peur du monde nouveau qui naît à la fin du siècle.

  • Dans les années 1840 : le collectionneur est perçu comme un excentrique asocial. C’est un passionné mais davantage associé au fou qu’à l’érudit. Souvent solitaire, la collection de ce dernier lui est un refuge. Cependant la pratique de la collection se répand et contamine peu à peu le bourgeois…
  • Dans les années 1860 : l’ouverture de l’hôtel des ventes Drouot réunit les parisiens les plus érudits. Le développement des collections privées se fait en même temps que l’ouverture de quelques musées (le musée de Cluny ouvre en 1844 ; le musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye en 1854). Les collectionneurs ont donc acquis une véritable légitimité et ne sont plus en marge mais à la tête de la société civile. La pratique touche peu à peu tous les amateurs dont le nombre augmente d’années en années et devient alors un fait de mode, mais cela ne s’atteste qu’à partir des années 1870.
  • Dans les années 1870 : tout le monde collectionne. La pratique de la collection est devenue une norme. Celles-ci sont alors très diversifiées ; puisque tout le monde collectionne, il faut se démarquer par les œuvres et objets collectionnés. La collection incite ainsi l’analyse sociologique de sa constitution : ce qui est collectionné reflète les goûts et le milieu social du collectionneur. Certains auteurs expliquent la pratique généralisée de la collection par l’absence totale de style propre au XIXe siècle. D’autres parlent d’un début de société de consommation de l’Europe avec le matérialisme qui remplace le déclin de la religion (les objets sont entassés, accumulés, avant d’être jetés).

   Champfleury écrit en effet « Un collectionneur fait souche, il engendre autant de collectionneurs que les pucerons. Si la fièvre continue, Paris ne sera plus qu’un grand bazar de curiosités. [1]»

   Toutefois des guides, des manuels et dictionnaires sur la pratique de la collection apparaissent : Répertoire général des collectionneurs de la France et de l’étranger, en 1882 par Ris-Paquot ; Le Livre des collectionneurs, par A. Maze-Sencier en 1885, puis dans la revue Le Japon artistique, Marcus B. Huish écrit en mars 1891 « L’art de collectionner » où il donne les recommandations nécessaires à la constitution d’une collection.

   À l’heure où la prise de conscience de préserver le patrimoine est forte, le collectionneur n’est donc plus le passionné du début du siècle mais celui qui exerce une pratique codifiée qui participe à la formation et préservation du patrimoine. Ce qui s’impose au XIXe siècle est une logique de la possession. L’accumulation d’objets devient alors constitutive de l’identité.

   À la fin du siècle, deux discours s’opposent à propos de la collection : le discours républicain qui fait de la collection un support didactique et scientifique face au discours aristocrate qui met en valeur l’esthétisme et l’art dans les objets présentés dans un cadre strictement privé.

 

Qui sont les collectionneurs du XIXe siècle ?

   Alexandre du Sommerard (1779-1842)460px-AlexandreDuSommerard est sans doute le collectionneur d’œuvres médiévales le plus connu. À l’âge de 14 ans, il prend part aux guerres de Vendée puis se lance quelques temps plus tard dans la campagne d’Italie où il a certainement forgé son goût pour l’histoire, l’esthétique et la collection. S’installant à Paris après son mariage, entièrement autodidacte, il développe son goût et sa ferveur pour l’histoire nationale au contact des historiens, des hommes de lettres et des artistes. Il commence tout d’abord sa collection par des dessins, gravures et tableaux puis vend celle-ci en deux ventes publiques pour se tourner vers les œuvres d’art du passé ; très vite il acquiert un certain nombre d’œuvres du XVe et XVIe siècle. En 1832, il s’installe dans l’hôtel de Cluny et met en scène ses collections, voulant que la connaissance exacte du passé serve de guide au présent. À sa mort en 1842, ces arguments vont servir pour l’acquisition par l’État de la collection et des bâtiments qui l’abritaient, afin de faciliter et rendre populaire l’étude de l’histoire nationale.

   Isaac de Camondo (1851-1911) A.Bert_-_Isaac_de_CamondoNé à Constantinople, il a 18 ans lorsqu’il arrive en France. Associé rapidement aux affaires familiales, il accepte la charge de Consul général de Turquie entre 1891 et 1895 ; fonction qu’il délaisse pour laisser libre cours à son tempérament d’artiste et devient célèbre en tant que collectionneur. Ses goûts sont éclectiques, il est en effet fasciné par le Japon et se porte acquéreur de beaucoup de japonaiseries, toutefois une grande partie de sa collection se compose d’œuvres du XVIIIe siècle qu’il rassemble au cours de la vente du Baron Double (grand amateur de cette époque) en 1880 et dont il avait été l’acheteur le plus remarquable. Sa collection se diversifie également à la fin de sa vie lorsque, conseillé par ses amis conservateurs, il la complète par des sculptures du Moyen Âge et de la Renaissance. Enfin il était aussi un grand défenseur des impressionnistes et entretenait notamment des rapports étroits avec Claude Monet. Il lègue à sa mort en 1911, sa collection au musée du Louvre en demandant à ce que celle-ci soit exposée dans une salle à son nom.

Félix_Nadar_1820-1910_portraits_Edmond_et_Jules_Goncourt   Edmond (1830-1870) et Jules (1822-1896) de Goncourt Après des études à Paris et une formation artistique (notamment dans l’atelier du peintre Dupuis pour Edmond), les frères Goncourt font leur début littéraire dans deux revues éphémères L’Éclair et Paris. En relation avec certains artistes grâce à leur mentor et ami Paul Gavarni, ils écrivent tout d’abord sur l’art contemporain et c’est la pratique de la collection qui les attire vers des études historiques. Très tôt en effet et notamment au contact d’une tante, Edmond a cultivé le goût de chiner et achète des estampes et des dessins. C’est en 1855 que les frères commencent à écrire sur l’art du XVIIIe siècle dans la revue L’Artiste. C’est toutefois au début de l’année 1860 que les frères découvrent réellement le XVIIIe siècle par plusieurs biais : la fréquentation de grands collectionneurs de tableaux de cette période (notamment les frères Marcille ou Louis Lacaze), puis la visite de l’exposition Tableaux et Dessins de l’école française, principalement du XVIIIe siècle, tirés de collections d’amateurs présentés boulevard des Italiens et enfin la découverte de grands musées allemands et autrichiens. Après la mort prématurée de son frère en 1870, Edmond poursuit leur travail. Il étudie et classifie notamment des œuvres venant d’Extrême-Orient puis publie La Maison d’un artiste qui s’impose comme le premier ouvrage de référence sur les arts de l’Extrême-Orient. Nommé chevalier de la Légion d’Honneur en 1895, Edmond s’éteint l’année suivante chez son ami Alphonse Daudet.

   Octave Mirbeau (1848-1917) Octave_Mirbeau_1895Écrivain, romancier, critique et amateur d’art, Octave Mirbeau fut également un justicier des avant-gardes de son temps. Dénicheur de talent, il collectionne les œuvres des plus grands artistes de son époque tels qu’Auguste Rodin qui illustra plusieurs de ses œuvres, Camille Claudel, Claude Monet, Paul Cézanne, Vincent Van Gogh ou des œuvres Nabis. Fervent amateur d’art, il contribue à défendre et faire connaître le mouvement impressionniste et sa collection reflète ses amitiés. Toutefois, lors de la mise en vente de celle-ci en 1919, s’y trouvent également  une gravure du XVIIIe siècle d’après Joseph Vernet, deux dessins chinois et trois estampes japonaises.

[1]Jules-François-Félix Husson, dit Champfleury, L’Hôtel des commissaires-priseurs, Paris, Dentu 1867, p.X-XI

 

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