Journal de bord du marquis de Campana (1809-1880)

1815

Mort de mon père. Je n’ai que 6 ans et forcément je ne garderai que très peu de souvenirs de lui. Toutefois, c’est à moi que revient son patrimoine immobilier considérable et sa collection (qu’il avait lui-même hérité de son père et qu’il avait enrichi) puisque je suis l’aîné. J’adorais quand il me parlait de ses œuvres et je voulais aussi devenir collectionneur quand je serais grand. Sa bibliothèque m’impressionnait : je suis sûr qu’elle comptait plus de mille titres (textes classiques, traités d’histoire de l’art, récits historiques, recueils religieux et moraux) !

1824

Mort de ma mère. C’est elle, et notre oncle Camillo Polverosi, qui nous avaient élevés, mes frères et sœurs et moi, après la disparition de mon père. Nous avions aussi été mis sous la protection du cardinal Bartolomeo Pacca, ce que mon père avait demandé dans son testament. Maintenant que mes deux parents sont partis, j’entre en possession de tous les biens familiaux et je suis désormais autonome.

1829

Jamais je n’aurais pu imaginer que cette collection allait faire naître en moi une réelle passion. Elle compte déjà de belles pièces que mon père avait acquises mais je n’ai qu’une seule pensée en tête : l’accroitre ! Je passe mon temps chez les antiquaires les plus renommés du pays : à Florence chez Arcangelo Michele Migliarini, à Rome chez Luigi et Ignazio Vescovali, à Naples chez Raffaele Barone et chez Raffaele Gargiulo, à Chiusi. Je veux être le premier à acquérir leurs nouveautés mais j’aimerais faire comme mon père et financer mes propres fouilles. Je veux être à l’initiative de mes découvertes !

1831

J’entre officiellement dans la vie active ! Le Mont-de-Piété, un organisme de prêt sur gage, organe financier très important de la Rome papale de l’époque vient d’accepter ma candidature. Mon salaire me permettra d’acheter de nouvelles pièces, je suis aux anges !

drmn7lnrs6+2+pkpyo4hlq_thumb_6f86
G. Vasi, Vue du Mont-de-Piété, Della Magnificenza di Roma antica e moderna, Rome, 1741-1761, © Catalogue La collection Campana : un rêve d’Italie au Louvre
28 mars 1831

Tous mes efforts portent enfin leurs fruits ! Je viens enfin de faire une découverte de taille avec mes fouilles ! Le columbarium dit « de Pomponius Hylas » à Rome sur le côté droit de la via Latina. Avec Francesco Capranesi, nous avons fouillé près du tombeau des Scipion et c’était une excellente idée ! Nous avons aussi entrepris de documenter l’hypogée par des plans et des coupes alors que je ne le fais pas habituellement, je trouve que c’est une perte de temps…

1833

Après deux ans de services au Mont-de-Piété, on reconnait enfin la qualité de mon travail.  Je succède à Antonio Azzuri à la direction de l’établissement comme mon père et mon grand-père avant moi. Je suis encore jeune mais je me sens prêt à assumer ces lourdes responsabilités et puis cela me donne une place de choix dans la société ! Je vais devoir réaliser un travail exemplaire car l’énorme dette de 80 000 scudi doit disparaitre. Je vais réaliser un travail de refonte de cet organisme pour qu’il soit enfin rentable.

1838

Le Mont-de-Piété se porte très bien ! Avec mon habileté et ma rigueur, je lui ai rendu, en cinq ans, tout son éclat et je l’ai surtout doté d’un institut de crédit moderne.

Printemps 1838

J’ai été autorisé à mener des fouilles dans la Vigna Nardi, sur la via Latina en fin d’année dernière et je viens de mettre au jour un nouvel hypogée. Il n’est pas loin de celui que j’avais découvert en 1831 et j’ai donc pensé à publier une monographie intitulée Due sepolcri romani. Je pense en profiter pour publier l’hypogée de « Pmoponius Hylas » mais pas besoin d’en parler à Capranesi, ça fait déjà 7 ans…Je veux qu’on se souvienne de mon nom en premier.

1839

Ma collection commence à se faire de plus en plus importante et j’ai donc décidé de conserver les objets les plus précieux dans l’appartement du Mont-de-Piété.

1841

Ma collection d’antiques, surtout de terres cuites et de pièces d’orfèvreries commence à être connue. Les requêtes affluent des quatre coins de l’Europe pour venir la visiter : Prusse, Angleterre, France…

1842e7bi4xo3q9wndr%wgcq5pg_thumb_6f95

Je viens de lire la toute dernière publication de Luigi Canina La descrizione dell’antico Tusculo et je décide de fouiller à Tusculum moi aussi ! Je suis sûr qu’il reste encore des choses à découvrir et j’avais raison ! J’y ai trouvé la magnifique statue en marbre de Jupiter.

Je viens de publier Antiche opere in plastica, dans lequel je présente les reliefs en terre cuite à décor en relief que j’ai découvert à Rome. J’ai pour cela utilisé les dernières techniques d’impression, les tirages sont donc en COULEUR ! Je suis sûr que ce livre en deux volumes aura beaucoup de succès grâce à cela !

1843

Je suis enthousiaste, la renommée de mon musée est telle que les guides touristiques en font des descriptions alléchantes. Je ne suis pas très bon en anglais mais le Handbook for Travellers parle de « great value to the student of Etruscan antiquities ».

Ma collection est déjà trop importante pour être conservée en un seul lieu, je suis obligée de la séparer dans plusieurs édifices de la ville.

campana_collection_in_1851
La salle des terres cuites du musée Campana au Mont-de-Piété à Rome Planche acquarellée dans G. Campana, Antiche opere in plastica, Rome, 1851, Naples, Bibliothèque universitaire de Naples
louvre-casino-de-la-villa-campana-vue-de-la-galerie-des-sculptures-175-278-px
Casino de la villa Campana, vue de la galerie des sculptures, vers 1850, Rome, Museo di Roma

 

 

 

 

 

 

 

Parallèlement, je poursuis mon travail à la tête du Mont-de-Piété, ce qui me mets en relation avec le pape et les plus importantes familles italiennes. Mais je suis aussi en contact avec des artistes et des intellectuels comme les Rossetti en Angleterre même si je n’ai pas trop envie que ça se sache, ils ne sont pas vraiment appréciés du gouvernement…

J’ai l’impression de ne plus faire de découvertes d’importance depuis quelques temps. J’en ai parlé avec mon ami antiquaire et archéologue Luigi Arduini, et nous avons pensé à une petite supercherie : faire croire à la découverte d’une tombe à chambre d’époque orientalisante dont nous assemblerions tout le mobilier.

1844

Cette année j’ai décidé de financer des fouilles à Cerveteri, sur le site de la ville étrusque de Caeré notamment dans la Nécropole de Banditaccia. Comme je m’y attendais, les ouvriers ont fait de belles découvertes ! Quelques oeuvres sont en parfait état mais la plupart des pièces sont en morceaux, les vases en particulier. Il est donc nécessaire de les restaurer pour leur donner un aspect convenable, je ne peux pas me permettre de ne présenter que des fragments !

J’ai toujours fait confiance à mes restaurateurs notamment Pietro et Enrico Pennelli, Filippo Guaccarini mais aussi Carlo Ruspi. Je leur confie les pièces pour qu’ils remontent les vases et les invite à combler les lacunes et à retoucher le décor si besoin. Les fouilles sont extrêmement couteuses donc je demande aux ouvriers de faire vite. En passant plus de temps sur les fouilles, ils parviendraient sans doute à mettre au jour tous les morceaux des objets mais c’est plus rentable pour moi de les faire refaire. Mes restaurateurs sont talentueux, on ne voit même pas la différence !

louvre-cratere-calice-attique-figures_5
Cratère en calice attique à figures rouges, signé par Euphronios, vers 515 – 510 avant J.-C, Paris Musée du Louvre

Il m’arrive aussi de leur demander de rassembler certains fragments dont je ne connaissais pas l’origine et de refaire une œuvre à partir d’eux. C’est plus rapide que de tout restaurer. Par exemple, ma Vénus pudique est en fait un assemblage de quatre ensembles habillement ajustés les uns aux autres et complétés par mes restaurateurs.

 

allgorie-du-printemps-de-la-collection-campana-inv-p29-c2rmf
Figure féminine, dite Le Printemps, enduit peint à fresque, fin du Ier siècle après J.-C. (?), Tusculum, Paris, Musée du Louvre
41802_889_001
Aphrodite du type du Capitole, Ier – IIe siècle après J.-C., marbre,
© 2009 Photo RMN / Stéphane Maréchalle

 

 

Je viens d’apprendre que les urnes hellénistiques de Chiusi constituent l’une des productions les plus abondantes et les plus répétitives de l’artisanat étrusque, en particulier pour les cuves, fabriquées à l’aide de moules et qui reproduisent très fréquemment le motif du duel fratricide d’Etéocle et Polynice. C’est passionnant ! J’aimerais bien en trouver qui ne possèdent pas cette iconographie, elle seraient plus rares ! Malheureusement, je n’y suis pas parvenu. Celles que j’ai acheté à Chiusi ont néanmoins l’avantage d’être en bon état.

capture d_écran 2018-12-18 à 18.17.01
Urne Cinéraire, IIè siècle av J.C., Paris, Musée du Louvre
1845

Ma collection s’agrandit de jours en jours ! Les fouilles que j’ai entreprises se révèlent très fructueuses, j’ai eu du flair ! Je possède déjà des maisons qui sont remplies d’objets mais ce n’est pas suffisant, je vais louer des salles dans Rome pour les présenter mais la partie la plus importante sera présentée dans ma villa près de Saint-Jean de Latran. Je pense que je vais y reconstituer, autour du fleuron de ma collection qu’est le Sarcophage des époux que j’ai trouvé à Cerveteri dans la tombe des reliefs, une tombe étrusque pourvue de son décor peint et de tout son mobilier ! Elle est si impressionnante que j’ai commandé un tableau à Cesare Berzotti.

530b9064b367c42b05d28902248f89f0
Sarcophage, dit Sarcophage des époux. Cerveteri (nécropole de Banditaccia), vers 520 – 510 av. J.-C. © Musée du Louvre l Philippe Fuzeau
533d4df19b082
Cesare Berzotti, Tombe des Reliefs, Vers 1850, Milan, collection Virginia e Rita Battanto, © C. Pompanon

 

 

 

 

 

 

 

 

Je viens de faire une affaire ! Le cardinal Fesch a vendu sa collection de tableaux et c’était pour moi l’occasion de développer la section moderne de mon musée, j’y pensais depuis un moment.

Ignazio Vescovali est un vieil ami et surtout un antiquaire très compétent. Il vient de découvrir dans des fouilles près de la via dei Cerchi sur le Palatin un magnifique Eros à l’arc qu’il s’est empressé de me proposer. Je jouis d’une certaine exclusivité dans ce genre de situation, c’est merveilleux. J’ai tout de suite accepté ! Elle va venir magnifier ma collection.

450px-eros_bow_louvre_ma448_n01
Eros à l’arc, 81-96 après J.C., marbre, Paris, Musée du Louvre
1846

Le Pape Pie IX, tout nouvellement élu, vient de me faire l’immense honneur de venir visiter mon musée. C’est un événement mémorable et qui donne tellement de prestige à ma collection ! J’ai fait graver deux inscriptions, en latin et en grec, sur marbre pour l’occasion. Il ne fait pas de doute que le public va accourir en masse pour le visiter à son tour.

J’ai décidé de vendre une partie de ma collection à Londres chez Sotheby’s : des monnaies et médailles. J’ai besoin de fonds. Cette collection numismatique était assez riche  mais n’était formée que des duplicatas d’une collection bien plus précieuse et vaste que je garde dans mon musée.

Je reçois des dons, j’en fais aussi, j’achète, je vends : mon musée est en perpétuel changement mais je ne fais pas n’importe quoi, je veux créer un ensemble porteur d’un message. Je veux donner une image du patrimoine culturel italien, aussi bien antique que moderne.

1847

Antonio Artuzzi, mon prédécesseur à la direction du Mont-de-Piété est un traitre ! Il vient de me dénoncer. Depuis quelque temps je me sers dans les caisses pour financer ma collection…mais ce n’est qu’un emprunt ! Je compte bien rendre tout cet argent. Je ne sais pas comment cet Antonio s’en est rendu compte… Même si l’enquête administrative ne révèle que quelques irrégularités, mon travail est remis en cause. Je vais devoir être prudent désormais.

1848

Je viens d’être fait marquis par le Pape, quel honneur ! C’est très important pour ma reconnaissance sociale.

Je n’ai pas l’habitude de parler de politique mais j’ai l’impression que ce qui se passe en Italie depuis quelques années est amené à faire changer les choses. L’Italie est divisée en 8 états mais l’élection du Pape Pie IX en 1846, considéré comme un libéral, a suscité l’espoir pour l’unification de l’Italie. Pourtant ce n’est pas ce qu’il souhaite… J’ai de réelles sympathies pour l’unification mais je ne peux m’y rattacher explicitement puisque je travaille pour la papauté au Mont-de-Piété. Je suis tiraillé…

Mais je peux participer à ma façon à ce mouvement d’unification par le biais de ma collection. Elle est en quelque sorte le reflet de mon patriotisme puisque c’est un ensemble d’œuvres qui racontent l’histoire italienne depuis les origines jusqu’à aujourd’hui, ce que personne n’a encore fait. Elle glorifie notre beau pays en montrant ses richesses !

Début des années 1850

L’Empereur Russe Nicolas Ier ne se refuse rien ! Il vient d’envoyer une délégation d’experts à Rome dans le but d’acheter des œuvres de ma collection ! Son musée, l’Ermitage, est terminé, il doit maintenant le remplir d’œuvres. Mais ma collection n’est pas à vendre. Son musée sera sans doute prestigieux mais je ne rassemble pas des œuvres italienne pour les envoyer en Russie !

20 janvier 1851

La femme que j’aime depuis plusieurs années, Emily Rowles vient de devenir ma femme. Elle est anglaise et sa famille est très liée à Louis Napoélon Bonaparte. Je compte bien entretenir cette relation, elle pourrait être utile !

zfp16k1at%aiwddoxtjdrq_thumb_6f8e
Marcellin Varcollier, Jardin de la villa Campana, 1856, Collection particulière

Nous décidons d’emménager dans mon petit palais de la via del Babuino à Rome. L’appartement du Mont-de-Piété servira exclusivement à partir de maintenant à exposer certaines classes de mon musée, en particulier les terres cuites. Mon père et mon grand-père voulaient que les marbres soient présentés dans le jardin de la villa du Latran, je vais poursuivre leurs désirs. Le musée Campana est toujours présent à l’intérieur mais la villa a aussi besoin d’être réaménagée pour en faire un musée digne de ce nom ! Les fenêtres sur la grande rue doivent être occultées et je fais percer des ouvertures dans le plafond. L’expérience des premiers musée a montré que c’était l’éclairage le plus optimal.

Ma collection reste ma préoccupation première mais je veux aussi accroitre mon patrimoine immobilier. La villa que j’ai hérité de mon père à Frascati est située dans un quartier idéal et cette ville est de plus en plus appréciée des voyageurs, c’est une aubaine. Je vais acheter les divers bâtiments qui l’entourent et me faire construire une demeure grandiose ! Pour cela, je dois vendre mes terres à Montopoli in Sabina et contracter un emprunt auprès du Mont-de-Piété, ma collection et étant la garantie.

unadjustednonraw_thumb_6f88
Vue du Palais Campana à Frascati, Grottaferrata, Biblioteca dell’abbazia di San Nilo
Octobre 1851

Sur les conseils de Braun, je visite la collection d’Alessandro François à Livourne. Je n’ai jamais apprécié cet homme et je pense qu’il éprouve la même chose pour moi. Je lui ai proposé d’acheter une partie de sa collection mais il a refusé parce que je convoitais les plus belles pièces. Évidemment, je n’allais pas acheter des œuvres sans intérêt !

1852

On commence à être de plus en plus suspicieux sur mon activité au sein du Mont-de-piété, les contrôles sont de plus en plus fréquents, j’ai peur qu’on découvre que j’ai utilisé l’argent de la compagnie pour acheter des œuvres, ce serait une catastrophe. J’aurais peut-être dû vendre quelques pièces aux russes pour avoir quelques sous de côté au cas où les choses tournaient mal…

1854

J’ai de réels problèmes financiers… Le gouvernement anglais se montre intéressé par l’achat de toute la collection de sculptures grecques et romaines… Je vais faire en sorte que ça ne se produise pas mais je vais tout de même demander à Braun de réaliser une estimation chiffrée de mon musée.

Milieu des années 1850

Mes problèmes financiers sont trop importants, je ne peux plus poursuivre sur la même lancée. Cette activité me prend trop de temps et ma collection est si immense que je commence à avoir du mal à la gérer. Je ne pourrai pas arrêter d’acheter car c’est une passion mais je dois être plus attentif.

Je suis conscient que ma collection n’a jamais été référencée entièrement dans un ouvrage de synthèse. Pourtant, je pense que ce serait nécessaire vu son étendue…Je vais préparer mes Cataloghi del Museo Campana et répartir ma collection en douze classes : 8 antiques et 4 modernes.

1856

Je viens de faire une bonne affaire ! Le tableau de La Bataille de San Romano est exceptionnel ! Il constitue une des plus belles pièces de ma collection moderne. Malheureusement, je n’avais pas les moyens d’acheter les deux…

65782_97-012979
Paolo Uccello, La Bataille de San Romano : la contre-attaque de Micheletto da Cotignola, vers 1435 – 1440, Paris, Musée du Louvre

 

30 novembre 1857 

Ça y est, le jour que je redoutais est arrivé. Suite à un contrôle qui a eu lieu il y a quelques jours, je viens d’être arrêté pour avoir pioché dans les caisses du Mont-de-Piété. Et on se rappellera de cette arrestation spectaculaire ! Le procureur est venu me chercher sous protection de gendarmes…quelle scène burlesque, je ne suis tout de même pas une menace !

Ma collection vient d’être saisie et l’État pontifical la met en vente. L’œuvre de toute ma vie, que je considère comme mon propre enfant, vient de m’être arrachée. Les journaux s’en donnent à coeur joie pour relayer cette « chute spectaculaire » et me réduire à un moins que rien.

5 juillet 1858

Le verdict est tombé : je suis condamné à 20 ans de prison…en même temps j’avais 900 000 écus de dette…mais c’est quand même excessif. Je suis effondré…

Je repense à tous ceux qui sont venus visiter mon musée…le prince Charles de Prusse, le consul général des Etats-Unis, Lady Ramsay et le général John Ramsay, lord Fitzwilliam, Walpole et Knight, Lady Davy, Auguste Kestner, Anna Maria Fielding, Franz Ludwig Catel, le Comte von Stackelberg, le duc d’Almazan, Francesco Saverio Bonfigli, Lola Montès…et tant d’autres. Ils doivent être partagés entre différents sentiments à mon égard.

25 avril 1859

Grâce à mes amis qui savaient à quel point cette collection et mes intentions étaient nobles, le Pape Pie IX s’est montré clément. Ma peine de 20 ans d’emprisonnement a été communiée en exil perpétuel de l’État de l’Église moyennant la session de tout mon patrimoine au bénéfice de l’État pontifical pour effacer ma dette. Je vais en profiter pour voyager : Naples, Paris, Genève, Londres, Bruxelles, Dresde…j’ai toujours rêvé de parcourir l’Europe.

1861

Ma collection fait apparemment l’objet de nombreuses convoitises, ça ne m’étonne pas, j’avais plutôt bon goût et j’étais doué en affaires !

L’Angleterre a choisi quelques sculptures et majoliques de la Renaissance italienne pour orner les murs du musée de South Kensington ouvert depuis 10 ans.

Le Tsar Alexandre II de Russie a acheté un lot de 787 objets : marbres, vases et bronzes antiques. J’ai entendu dire que la presse française était outrée. Ingres, Mérimée, Delacroix ont même protesté ! Il doit en être de même en Italie. C’est une partie de notre patrimoine qui s’enfuit, ils ont raison. Mais je comprends l’importance pour les russes de posséder des antiquités, leur appartenance à l’Europe en est d’autant plus légitimée. Culture et politique ont toujours été et seront toujours liées.

C’est Napoléon III qui a acquis tout le reste. J’en suis presque soulagé…Le montant s’élève à 4 800 000 francs…c’est bien plus que le montant de ma dette…le Vatican fait vraiment une bonne affaire, c’est une honte.

1862 

Ma collection est exposée au Palais de l’industrie dans le musée Napoléon. Je n’ai moi-même jamais pu voir autant de mes œuvres rassemblées au même endroit.

1863 

Fermeture du Palais de l’Industrie. J’ai entendu dire que mes œuvres allaient regagner le Louvre mais que certaines allaient être envoyées dans les musées de province. Je ne sais trop quoi en penser. Un public plus important pourra admirer ces œuvres mais l’âme de ma collection sera définitivement perdue.

1871

Ce que j’avais toujours espéré vient enfin de se produire : l’Italie est unifiée ! Finie cette rivalité entre tous les royaumes ! Notre beau pays va enfin pouvoir repartir sur de nouvelles bases et de mon côté, je vais pouvoir revenir m’installer à Florence avec ma tendre Emily.

1876

Malheur ! Ma tendre et douce vient de me quitter… C’est elle qui m’avait aidé à m’en sortir après la saisie de ma collection il y a maintenant presque vingt ans.

10 octobre 1880

Dans mon petit appartement de la via della Stamperia à Rome, je sens mes derniers instants arriver…je vais m’éteindre sans un sous et sans ma précieuse collection mais j’emporterai son souvenir avec moi.

 

Adieu.